Articles scientifiques
A travers ces quelques articles vous pourrez découvrir certains sujets traités à la lumière de la clinique d'Ahuefa.
Ekoué, L. (2023). Médiation ethnoclinique : un dispositif pour des familles migrantes et/ou vulnérables, en situation de placement d’enfant AHUEFA. Cliniques méditerranéennes, 107, 211-224. https://doi.org/10.3917/cm.107.0211
https://doi.org/10.3917/cm.107.0211
La médiation au sens thérapeutique de Solange Faladé à l’épreuve d’une transmission inconsciente et transgénérationnelle.
Auteurs : Léocadie EKOUE, Claude EGULLION, Rogini SAGADEVIN, Fresner ANDRE, Keziban AYINTAPLI le 29/07/2019
L’association Ahuefa International France, fondée en 1996 en Ile de France par Léocadie EKOUE s’inscrit dans la continuité de la pensé du Dr Faladé sur les notions de transmission et de médiation. Ahuefa fait partie de ces associations qui ont contribué à penser la thérapie familiale au sens ethnopsychanalytique en France. A la différence des autres associations, Ahuefa a un substrat anthropologique qui est étroitement lié au parcours initiatique de sa fondatrice. En effet, Léocadie EKOUÉ est à la fois psychologue clinicienne et Anthropologue. Ses nombreuses expériences dans le champ de la maternité laissent entendre le sens tout particulier du travail de soutien psychologique de l’association aux enfants et familles avec le support de la théorie psychanalytique. L’association Ahuefa pratique la médiation ethnoclinique suivant une conceptualisation de Léocadie EKOUE inspirée de la notion de transmission psychique inconsciente et de la notion d’appareil psychique groupal de Kaës [1]. L’objectif de cet article est d’expliciter les bases de la clinique telle qu’elle est pratiquée au sein de l’association Ahuefa. Aussi, cet écrit a pour but de restituer la chronologie et les contours de cette clinique nommée Médiation ethnoclinique. Dans un premier temps, nous allons relater quelques éléments historiques pour mieux saisir la construction de cette clinique au fil du temps, puis dans un second temps nous reviendrons brièvement sur le sens de la clinique de la médiation à Ahuefa. Quelques éléments historiques La notion de médiation est apparue dans le champ de la clinique pour la première fois en 1982. Cette même année, Léocadie Ekoué à la recherche d’un directeur de thèse participe au séminaire du professeur Sow à l’université Paris 7. Ainsi, elle intègre ce séminaire de recherche autour de l’interculturalité. Dès les premiers mois, le Pr Sow est sollicité par Solange Faladé(1) médecin psychiatre et psychanalyste lacanienne, pour participer à la mise en place d’une consultation intitulée médiation psychoculturelle à la maternité de Baudelocque (actuellement Port Royal). Cette proposition a été faite à partir de l’expérience clinique de Yannotti-canon, alors psychanalyste lacanienne également au sein de cette maternité. C’est dans ce cadre, que le Pr Sow et son équipe se sont trouvés impliqués dans cette nouvelle démarche clinique. Cependant, ce groupe de travail s’est terminé au bout de deux ans. Après cela, Solange Faladé a demandé à rencontrer Léocadie EKOUÉ, pour lui proposer une recherche autour de la médiation comme outil de soin psychique. De ce qu’il fallait entendre de cette rencontre, c’était que Solange Faladé avait compris que ces manifestations psychopathologiques en périnatalité posaient la question du sens. Ce qu’elle devait partager avec Yannotti-canon ceci explique la nécessité d’une véritable recherche universitaire. Elle en proposait le suivi et l’encadrement à Léocadie. Aussi avait-elle pensé à faire la proposition à Léocadie EKOUE dont elle aurait suivi la recherche et l’encadrement. Cette proposition a déclenché une longue maturation qui a pris de nombreux détours pour cette dernière, dans le cadre de son doctorat qui l’a conduite au Mali et au Togo. Elle s’est intéressée aux prises en charge traditionnelles proposées dans le cas de la mort in utero et plus largement sur l’approche du soin dans la dimension du sujet. Ce travail de longue haleine a structuré une approche du sujet, de la notion de personne qui prend en compte les différentes modalités de soins et la manière dont elles peuvent s’articuler. Pour poursuivre la démarche doctorale, après le départ du Pr Sow de l’université Paris 7, Léocadie Ekoué s’est inscrite à paris 5 auprès de Louis Vincent Thomas, directeur de recherche et spécialiste des recherches sur la mort en Afrique. En tant que doctorante en anthropologie sociale et sociologie comparée, Léocadie EKOUE a aussi suivi le séminaire du laboratoire de recherche 221 du CNRS dirigé par Jacques Cartry, directeur de ce laboratoire. La première rencontre avec Cartry s’est faite dans le cadre d’un enseignement qu’il donnait sur les religions à l’école pratique des hautes études (EPHE). En effet, Cartry était sensible à la psychanalyse et son intérêt pour le sujet de thèse de Léocadie Ekoué sur la mort in utéro l’a conduit à lui permettre d’assister à son séminaire. Le laboratoire regroupait tous les anthropologues connus de l’époque tels que Jean Rouch et Youssouf Tata Cissé. Ce dispositif de recherche intitulé « système de pensée en Afrique noire », se consacre à l’étude des sociétés en Afrique noire. Et cette expérience reste d’une extrême richesse pour Léocadie Ekoue. Cependant, au bout de deux ans, Jacques Cartry a compris que les dimensions psychiques et de soin restaient au centre de ses interrogations. C’est ainsi qu’en 1987 sur le conseil de Cartry, Léocadie Ekoué a rejoint l’équipe de Nathan à Avicennes ou elle est restée 5 ans tout en continuant sa recherche en tant que doctorante. Dès son arrivée elle a insisté sur la nécessité de faire un travail sur la notion de médiation. Ce qui a sans doute donné lieu à la création d’une formation de médiateur ethnoclinicien (ARECLIDE). Mais le contenu de cette formation s’écartait, selon elle, de la portée clinique qui véhicule le processus thérapeutique. Du reste cette formation s’adressait sans distinction aux personnes, toutes professions confondues dès lors que ces personnes parlent une langue étrangère. En 1994, deux après avoir quitté le groupe de Nathan elle a participé de façon intermittente pendant une dizaine d’années à la consultation de Marie Rose Moro en tant que co-thérapeute.Tout ce cheminement a balisé une clinique spécifique qui a donné naissance au dispositif de médiation ethnoclinique telle que pratiquée à Ahuefa depuis 23 ans. Dans notre prochaine publication nous reviendrons sur les différents aspects du dispositif de médiation ethnoclinique. Léocadie Ekoué est habitée par la notion de médiation au sens thérapeutique depuis le jour ou Solange Faladé lui avait demandé de faire ce travail de recherche. Sa rencontre avec Solange Faladé et cette responsabilité de mener ce travail de recherche sur une clinique de la médiation qu’elle porte depuis ce jour peut être entendue dans une dimension de transmission inconsciente. De sa recherche sur la mort in utero au Mali et au Togo, Léocadie est passée par de nombreux détours avant de saisir le véritable sens du travail que Faladé lui avait confié. Si le sens de la clinique de la médiation lui est revenu quelques années après sa rencontre avec Solange Faladé, il faut croire qu’il lui a fallu du temps. Un temps de maturation pour se laisser imprégner de cette clinique qui exige une attention et une ouverture d’esprit aux divers univers de sens. Tout ceci prend un peu la dimension d’un retour de refoulé. En effet, Solange Faladé avait une justesse et une finesse qui rendait ses enseignements inimitables. « Il n’est pas aisé cependant de décrire ce qu’avait de si inimitable son enseignement, si précieux à ceux qui l’ont suivi. Elle racontait la psychanalyse comme une conteuse et suscitait le désir de connaître la suite de l’histoire pour en apprendre le fin mot… » [2] On peut retrouver dans la conceptualisation de la médiation ethnoclinique de Léocadie EKOUE une sensibilité dans l’écoute des divers univers de sens. Léocadie EKOUE écoute les sujets avec une attention et un respect de la parole. Ce qui lui permet de reprendre leurs récits avec une certaine fidélité tout en gardant jusqu’au sens de l’utilisation d’un mot. Dans une consultation, cette attention au sens des mots utilisés par les sujets était d’une grande utilité. En effet, dans sa toute première présentation la patiente disait : « Je suis une pygmée », au-delà de la référence à ces origines ethniques, cette patiente nous renvoyait en miroir les représentations des professionnels. Cette finesse dans l’analyse des éléments cliniques laisse entendre que la médiation ethnoclinique d’Ahuefa est largement traversée par la pensée de Solange Faladé. « Il était passionnant d’entendre Mme Faladé lorsqu’elle évoquait, avec sa formidable mémoire des faits et des textes, les difficultés de ceux qui, comme elle, avant d’être lecteurs de Lacan, en avaient été auditeurs, et de l’écouter décrire des scènes ou des exemples cliniques de l’enseignement de Lacan auxquels il lui avait été donné d’assister. Elle n’hésitait pas, lorsque cela s’avérait fécond, à revenir sur certains cas cliniques et certaines notions théoriques « comme à l’école ». C’est le souci de Léocadie EKOUE de rendre à la Solange Faladé ce qui lui est dû qui sera à l’origine de la création de l’association Ahuefa International France où le principal intérêt est de pratiquer une clinique qui s’ouvre aux divers univers de sens. C’est justement pour ça que la présence des professionnels qui accompagnent le sujet ou la famille à prendre en charge est incontournable. - Solange Faladé et Jacques Lacan [3] (1) : « Avec elle disparaissait un témoin irremplaçable de l’histoire de la psychanalyse en France ». Dans hommage à Solange Faladé – école freudienne. Références bibliographiques [1] KAËS R. 1976 - L’appareil psychique groupal. Constructions du groupe. Paris, Dunod [2] Thiriat, J. (2004). Hommage à Madame Faladé. Figures de la psychanalyse, no10(2), 189-190. doi:10.3917/fp.010.0189. [3] Penia et Poros, du récit mythique à l’événement historique Par Solange Adelola Faladé, histoireetsociete, 30/11/2012. [4] Faladé S., 1991- 1993, Clinique des névroses, Paris, Anthropos, Economica, 2003. [5] Faladé S., 1989-1990, Le moi et la question du sujet, Paris, Anthropos, Economica, 2008. [6] Faladé S., 1993-1994, Autour de la Chose, Paris, Anthropos, Economica, 2012. Auteurs: Léocadie EKOUE, Psychologue clinicienne, Anthropologue, fondatrice d’Ahuefa. Claude EGULLION, Médecin et ancien Chef de la maternité des Bluets Rogini SAGADEVIN, Psychologue clinicienne et Psychothérapeute Fresner ANDRE, psychologue clinicien, doctorant en psychopathologie clinique, laboratoire Psy-DREPI, Université de Bourgogne Franche-Comté Keziban AYINTAPLI, Psychologue en formation, Université Paris 13
L'Arbre à Palabres: la parentalité entre universalité et transculturalité
Par : Claude Egullionle, le 02/09/2019
Débuté en 1995 à la maternité des Bluets, l’Arbre à Palabres est un groupe de parole dont une des principales caractéristiques est d’être transculturel et non pas multiculturel. En s’adressant à des femmes enceintes ou venant d’accoucher, récemment immigrées en France, ces groupes ont pour but de les aider à mieux intégrer dans leur propre vécu la dimension médicale de la grossesse ici, de les soutenir dans la construction de leur capacité à materner et dans l’établissement de la relation avec leur enfant. En effet celle-ci se voit complexifier dans le contexte de l’immigration pas la pluriculturalité, la précarité et l’isolement dans lesquels vivent la plupart, auxquelles viennent s’ajouter fréquemment des histoires de ruptures et de violence. Portage, soutien, amélioration du suivi médical, prévention de la dépression post natale et des troubles futurs de la relation parent enfant, dépistage de celles qui en détresse psychologique nécessitent une prise en charge psychothérapique, tels sont les buts que nous nous sommes assignés en créant ces groupes. La naissance de l’Arbre à Palabre : Entre 1980 et 1990, j’ai exercé l’obstétrique dans divers pays africains et asiatiques. Mon séjour le plus long fut au Zimbabwe où je restais durant 7 ans. J’étais responsable de l’obstétrique pour toute une province où vivaient 1 million de femmes. Environ 65 % des accouchements avaient lieu à domicile. En plus de mon travail d’obstétrique à l’hôpital provincial où je recevais surtout les complications, j’ai mené tout un programme pour intégrer dans la chaîne des soins les accoucheuses traditionnelles qui assistaient les femmes dans les villages. Plutôt que d’ignorer ces accouchements à domicile ou de s’opposer à ce que ces femmes accouchent chez elle, le système de santé d’alors n’ayant d’ailleurs pas la capacité de les accueillir toutes, ce programme en enseignant des mesures simples en particulier d’hygiène et la pathologie qu’il fallait absolument transférer à l’hôpital, a réussi à améliorer de manière tangible la sécurité des femmes et des nouveau-nés. Les bons résultats obtenus par ce programme n’ont pas été dus qu’à notre enseignement mais aussi en grande partie grâce aux relations que le personnel soignant avait établi avec ces accoucheuses et à la confiance qu’elles nous ont petit à petit accordée. C’était sur elles que nous comptions et que reposait la responsabilité de convaincre la famille de la nécessité d’un transfert à l’hôpital mais aussi la tâche de rassurer la future mère et de l’accompagner si possible quand elle devait être amenée à l’hôpital. Dans les années 90, dans les hôpitaux parisiens les patientes venues de l’étranger ont été de plus en plus nombreuses. En ce qui concerne l’hôpital où je travaillais beaucoup venaient d’Afrique de l’Ouest. A cette époque la majorité d’entre elles étaient arrivées dans le cadre du regroupement familial et venaient de zones rurales. Pas toujours familiariser avec la médecine, leur incompréhension parfois de ce qui allait leur arriver mais aussi une façon différente d’analyser ce qui pouvait être bon pour elle ou leur enfant, pouvaient générer beaucoup d’angoisse lorsque certaines décisions obstétricales devaient être prises. Régulièrement nous nous confrontions à des refus de soin, des tentatives pour échapper à certaines interventions, des crises de panique en particulier en salle de naissance, rendant difficile le travail des équipes médicales. Mais surtout, nos gestes techniques, certaines de nos attitudes ou façons de faire lorsqu’ils les choquaient ou étaient mal compris, laissaient nombre d’entre elles déprimées, angoissées, déçues avec l’impression qu’on avait trompé leur confiance. A mon retour en France je suis retournée travailler aux Bluets. J’avais connu cette maternité durant mes études et leur approche qui tenait à prendre en compte toutes les dimensions de la grossesse tant sociale, psychologique, personnelle que médicale me convenait bien. Le dialogue avec les parents, leur implication dans toute décision constituait l’autre valeur de cet établissement à une époque où on parlait encore assez peu de droit des patients. Héritière de Fernand Lamaze, Les Bluets était la maison mère de la préparation à l’accouchement. Nous avons voulu offrir à ces patientes migrantes la possibilité comme à toutes les autres de se préparer. Or pour diverses raisons, culturelles ou linguistiques essentiellement, elles ne participaient pas aux groupes de préparation. A l’occasion de mes expériences hors de France j’avais découvert la variabilité des coutumes et des prescriptions autour de la naissance et l’importance de la dimension culturelle de cet événement à la fois universel et très personnel et des enjeux de la transmission. C’est grâce à cette combinaison entre ‘l’esprit Bluets’, les circonstances socio-économiques et politiques de l’immigration d’alors et l’expérience de mes années d’exercice de l’obstétrique hors de France qu’est né l’Arbre à Palabres. Pour essayer de prévenir mauvais vécus et traumatismes psychiques et éviter d’avoir à gérer des conflits en consultation ou en salle de naissance, j’ai donc démarré ce groupe de parole où dans une ambiance plus détendue et plus chaleureuse et sans les enjeux d’une quelconque décision médicale à prendre dans l’immédiat, nous pouvions toutes ensemble nous rencontrer et échanger. Le groupe l’Arbre à Palabre a ainsi débuté en 1995 à la maternité des Bluets. Il s’adressait aux futures mères, en France depuis relativement peu de temps et pas encore complétement familiarisées avec les modalités du suivi des grossesses et des accouchements ici. Plus occasionnellement et sur leur demande nous avons aussi accueilli des femmes arrivées en France dans leur enfance ou nées en France mais de parents étrangers. Ces groupes ont fonctionné aux Bluets jusqu’en 2014. Devenir et évolution: Ces groupes se poursuivent actuellement dans divers lieux dont la maternité de Montreuil et dans des lieux d’accueil de jour. Ces groupes continuent à s’adresser à des futures mères ou jeunes mères en France depuis quelques mois à quelques années. Par contre leur profil, les circonstances de leur arrivée en France, leur motivations pour partir de leur pays a évolué progressivement au cours de ces 20 dernières années et actuellement les femmes que nous rencontrons différent notamment de celles qui participaient au groupe à sa création. Ces jeunes mères ou futures mères n’arrivent plus ou du moins rarement comme avant dans le cadre d’un regroupement familial. Dans les lieux où je travaille elles sont issues majoritairement d’Afrique de l’Ouest ou centrale, viennent des villes et ont beaucoup plus été scolarisées qu’il y a 20 ans. La plupart sont venues seules. Elles ont parfois rencontré un compagnon sur le chemin de l’exil ou depuis leur arrivée en France. Il n’en reste pas moins vrai que dans le groupe, nous rencontrons essentiellement des jeunes femmes isolées, très seules, le père de leur bébé les ayant abandonné ou s’impliquant très peu. Un nombre non négligeable de ces grossesses sont aussi issues de viols ou de ce qui peut être qualifié de rapport sexuel ‘transactionnel’, rapport que nombre de ces femmes se voient contraintes d’accepter pour pouvoir dormir dans une chambre à l’abri de la rue et de ces violences. Pour nombre d’entre elles le projet de migration a été un projet personnel. Certaines sont venues en France dans l’espoir de trouver du travail et d’améliorer le sort de leur famille restée au pays. D’autres ont fui une situation familiale difficile, des violences conjugales, une menace d’excision de leur fille ou des situations de violence politique. Au problème lié à la migration, vient alors s’ajouter des traumatismes liés à leur histoire personnelle dans leur pays et aux violences subies là-bas sans compter les violences subies sur le chemin de l’exil qui sont courantes. Beaucoup vivent dans une grande précarité sociale, sans carte de séjour et dans l’attente d’un statut qui mettra souvent des années à se concrétiser. La plupart n’ont pas d’hébergement fixe. Celles qui ont pu un temps être héberger par de la famille ou des amis, sont presque systématiquement mise à la porte lorsqu’un bébé s’annonce. Ainsi, ici aussi, elle se retrouve confrontées à toutes sorte de violences : de la rue, conjugale, intra familiale, administrative… Cette itinérance, en plus de l’anxiété propre liée au fait ne pas avoir un lieu où se poser et organiser sa vie, les empêche de construire un réseau un peu stable d’amies fiables qui puisse à la fois les aider et leur servir de support émotionnel et de famille de substitution. A partir de leurs paroles, la dynamique du groupe : Pour celles qui ont déjà accouché au pays, la naissance de leurs enfants a eu lieu dans une maternité (hôpital ou dispensaire). Elles n’ont donc plus le même rapport avec la médecine occidentale que ce qu’on pouvait observer en 1995. Par comparaison avec ce qu’elles ont pu connaître des services médicaux chez elle, souvent sous équipés, déficients, surchargés voire maltraitants, elles sont enchantés de leur prise en charge ici et ne tarissent pas d’éloges envers le personnel soignant. Elle souligne leur gentillesse. Elles paraissent bien accepter les nombreuses décisions obstétricales et interventions rendues nécessaires par des grossesses souvent compliquées car plus ou moins bien suivies ou du fait de pathologies associées. Il faut dire que c’est peut-être la première fois qu’elles font l’objet dans notre pays d’attention et sont considérées en tant que personnes ayant des droits. Le temps de la grossesse leurs confère soudainement une place dans notre société et gomme pour un temps leur invisibilité. Par contre il n’est pas sûr que cela se poursuive ensuite. Ainsi dans les groupes nous pourrions nous contenter d’écouter avec satisfaction ces premières impressions et leur expliquer les raisons et la teneur des interventions auxquelles elles ont dû ou vont avoir à faire face, informations dont elles sont très demandeuses. Cependant dans un deuxième temps, grâce à la confiance qui s’établit et souvent lancé par une d’entre elles qui rompt le charme de ce concert de louanges en évoquant son mal-être, sa situation ou son désarroi devant une décision médicale, le débat devient plus profond et plus sincère, moins convenu . Le rôle de l’animateur du groupe devient alors beaucoup plus subtil. Tout en répondant aux questions qu’elles se posent, c’est sa capacité à savoir laisser libre l’expression et à saisir au bon moment la parole sur laquelle d’autres vont rebondir qui va permettre que ce groupe ne soit plus un simple groupe d’information mais bien plus et que se mette en place une véritable psyché groupale. Et c’est à partir de là que le groupe va pouvoir leur procurer, même si ce n’est que d’une manière très temporaire, portage et partage. Va alors émerger les angoisses vis-à-vis de leur intégrité physique, de leur capacité à accoucher puis à être mère loin de leur famille et dans ce contexte de précarité ainsi que leurs questionnements sur ce qu’elles vont et doivent transmettre à leur enfant. Des effets de la narration et des échanges : Même si les participantes aux groupes actuels semblent assez différentes de celles de 1995, solitude, isolement et manque de leur famille restent des sentiments tout aussi vifs, envahissants et ravivés par la grossesse. Même si elles manifestent un désir plus marqué de bénéficier des avantages d’ici et de s’adapter à nos mode de maternage, certaines décisions obstétricales ou nos habitudes autour de l’accouchement sont parfois plus consenties que comprises et vont rester, pour certaines, source de frustrations qu’elles n’ont pas osées exprimer jusque là. Et c’est grâce à la narration des expériences de chacune et aux échanges dans un tel groupe que chaque participante va pouvoir être amenée à se saisir de ce qui pour elle sera pertinent pour l’aider à s’apaiser, à éventuellement trouver la signification de son histoire obstétricale, la place de son enfant dans sa filiation, à lui donner confiance en ses capacités de mère et à construire son histoire. Ces échanges au sein d’un tel groupe les aident à trouver comment combiner, pour chacune de manière très personnelle, les conceptions et façons de faire de leur culture d’origine profondément ancrées en elles avec leur envie d’intégrer les normes d’ici. Pour celles qui sont mère depuis quelques semaines c’est un lieu où elles vont pouvoir prendre conscience et exprimer leur fierté d’être capable de s’occuper seule de cet enfant, de « faire face » et du plaisir que leur procure cet enfant. Aller plus loin C’est aussi un lieu où lorsqu’elles se sentent suffisamment portées par le groupe, certaines vont évoquer, souvent pour la première fois, les violences qu’elles subissent parfois au quotidien ou encore celles qui les ont poussé à immigrer. Cette confiance qu’elles nous témoignent à ce moment-là nous permet de repérer et de proposer à celles qui ont des histoires très traumatiques ou à celles qui sont profondément déprimées, en plus des orientations médicales nécessaires, une prise en charge complémentaire à type de médiation ethno-clinique. Un groupe de thérapeutes se met alors en place autour de cette jeune mère. Ils vont l’accompagner durant sa grossesse et/ou durant ses débuts de mère et vont entamer, en s’aidant de l’état psychique particulier de la grossesse, un travail d’élaboration qui va à cette période progresser rapidement. Il s’agit non seulement de l’aider mais aussi de travailler sur la relation mère-enfant. Les effets de la dépression maternelle sur l’enfant sont actuellement bien connus. Il ne faut pas non plus méconnaitre le risque de maltraitance subit par des enfants de mères épuisées physiquement et psychiquement par leur propre histoire, la précarité ici et leur grande solitude. Conclusion : La grossesse déclenche des sentiments ambivalents mais l’arrivée d’un enfant pour ces femmes reste avant tout souvent très positif malgré les difficultés matérielles qui risquent de se multiplier et que, nous, nous avons trop tendance à mettre au premier plan. Premiers pas dans la reconstitution d’une famille, cet enfant va souvent être le symbole de la nouvelle vie qu’elles veulent se forger ici, même si cet grossesse n’a été ni planifiée ni désirée. Il va leur donner le sentiment qu’avec lui elles vont échapper à la solitude et représente une motivation supplémentaire à se battre pour améliorer leur situation. La grossesse, par la reconnaissance de leur statut de mère par les services de santé français et les soins dont on les entoure, les tire partiellement de l’invisibilité en leur ouvrant certains droits et l’accès à certaines ressources. Cependant les obstacles qu’ils soient matériels, psychologiques ou culturels auxquels elles sont confrontées, vont mettre à mal ces désirs et ces espoirs. Doutes et ambivalence restent leur lot commun, facteur d’angoisse et de moments de dépression. L’entourage dont toutes jeunes mères a besoin leur fait cruellement défaut et est pourtant d’autant plus important qu’elles vont avoir à s’adapter à un changement radical de leur conception du maternage en se retrouvant seule face à leur enfant, elles qui pour la plupart ont grandi dans des familles où l’enfant est celui de la famille voire de tout un village. Outre faciliter le travail d’adaptation à leur nouvel environnement et de prévention médicale et psychologique, le travail fait dans le groupe, son portage et le sentiment qu’elles leur donnent au fil des semaines d’appartenir à une communauté (même si celle-ci est éphémère) va servir à beaucoup de tremplin pour envisager plus positivement leur avenir et la construction de leur vie ici malgré toutes les difficultés et désillusions auxquelles elles ont dû et auront à faire face.
Azé and the Incommensurable
Written by Léocadie Ekoué, with Judy Rosenthal
Le 05/02/2012
Léocadie Ekoué and Judy Rosenthal sit in a café at La Place d’Italie with notepads next to their coffee cups, and pens in hand. In the midst of a story about her life Ekoue mentions aze (la sorcellerie, or « witchcraft ») « Shit, Leocadie, » Rosenthal growls. « I’m so tired of hearing about aze. Why do all of you Togolese women always bring it up to explain practically everything ! On this matter I’m a clueless Westerner, even after years and years of working with Vodu, and I don’t like all the aze talk. It depresses me. Léocadie smiles. « I’ll try to humor you« , she says. « I’ll try to interpret the reasons why we interpret all of our interpretations and everyone else’s interpretations with talk of aze. » Rosenthal listens. It is indeed about interpretation of interpretation—interpretation all the way down, no « transcendental signified. » What follows is Ekoue’s text with a few questions and comments by Rosenthal. After Rosenthal transcribed the conversation and the story, Ekoue reworked much of it so that it said (at least in the original French) what she wanted it to say. L.Ekoué : When I am asked to speak about witchcraft with a European or American I am expected to enter into another dimension, a sort of conformity with western notions. As soon as I do that I begin to cheat (agir en porte-à-faux), whereas I cannot cheat in the clinic (in ethno-psychoanalytic practice). Today I can speak honestly about witchcraft because for all of these years I have not been able to cheat in clinical work. In the presence of patients I cannot censure what is not Western. Elsewhere, an African is necessarily in a position of auto-censorship, is always brought to censure her words and her interpretations when it comes to talk about sorcery. Westerners always have their own notions of sorcery and the way it has functioned in Europe and the U.S., and they use that frame to investigate African sorcery, but that simply does not work. The questions themselves are full of traps so that the answers are pulled into a discourse that has its own agenda and cannot result in an African interpretation. Sorcery [or witchcraft] as interpreted by Westerners is always about trials, the law, judgment, and capitalism. It is as though when we speak of sorcery in terms of sociology [and anthropology] , we use a huge fishing net for catching sharks, when we should be using a very fine spider web made of silk. Aze and most other Mina and Ewe words that are translated as sorcelleriein French [and "witchcraft" in English] are used to talk aboutthe incommensurable. It’s not only about the latest versions of capitalism’s invasion of Africa, and the vampire nature of some individuals’ exploitation of others, such as we read in the recent ethnographies about witchcraft [e.g., Geschiere 1997] . It’s also about the untranslatable difference between the West and the rest, and about the unspeakable, the unrepresentable[1] , that which resists all explanation, even in Ewe and Mina worlds. It is especially about n’bia—jealousy and deathwish—the banal yet destructive rivalry that exists to some extent in the psyche of every person in the world, but that we Togolese have made conscious with our concept of aze. We know that we feel wounded in our narcissism when others succeed precisely there where we ourselves have failed, whatever it is we are lacking that the other possesses—a good job, beauty or wealth, love, a brilliant child, etc. And we know that our feeling of loss in the face of another’s gain, and the strong emotion of resentment or hatred of the other who « has, » sometimes the feeling of the unfairness of our own emptiness there where we perceive the other to be full—we know that these negative feelings we harbor against the other can harm us and can harm the other, socially, psychologically, and in Togo and Ghana, magically. That is why there are so many recipes for undoing n’bia and the aze that it can lead to, for protecting ourselves and our children from it, for punishing those who do not take care to monitor their own negative emotions towards others. We say that some people with aze literally (thus spiritually) join aze coteries who meet during the night and plan their success at the expense of others’ health or even with the sacrifice of others’ lives, or their children’s lives. We say that they turn into owls and watch and wait in trees to do harm. We say that such people trade on their natural aze so as to use it intentionally to destroy others. Other people may be destructive without even realizing it because they are not conscious of their desire to harm. Now I’m going to tell you a typical story of aze, one from my childhood. In my memory it is as though it happened yesterday. I was born in Abidjan of Togolese parents, and we lived in Treichville, the most African outskirt of the capitol city of Côte d’Ivoire. I was seven years old when a strange event took place in the large compound in which we lived. A little boy of four died suddenly, and his death arrived like a thunderbolt, shaking the lives of everyone in the neighborhood. The morning before he died he was quiet, although since he had begun to walk he had filled the compound with his baby talk and later with his singing. Very quickly everyone had recognized the strength of his intelligence, for without even trying he remembered better than the older children who attended school all of the songs and lessons that they recited and practiced at night before going to bed. However, that morning his silence shocked all of us and worried the children who hurried off to school while the adults spoke in low voices. When the children returned home from school they heard the wailing that had already for several hours accompanied the pain and tears of the mother. During those days burials took place the same day as death. The mortuary cold room had not yet made its appearance in sub-SaharanAfrica. Heat reigned, so funeral wakes were forbidden. The child had died that morning and was buried that afternoon. All the members of his extended family and their close friends were there to accompany the little one to his resting place. Now the courtyard shared by his family, ours, and several others, was to become the theatre of a strange scene. Facing the lodging of the mourning family was a tiny two-room hut practically in the middle of the large collective courtyard. The hut was occupied by an old woman and her niece. It was adjoined to an enormous baobab tree. It was made of adobe and therefore was cooler than the other dwellings, which were built of concrete blocks. Strangely, the tiny porch just outside the door of the hut, usually curtained off for privacy, was left open that day, so that the little funeral cortege could see the old woman inside, dressed in a simple piece of cloth (pagne). It was not like her to sit there visible to others, and only in pagne. She sat on a mat, her legs stretched straight out, inside a circle marked on the mat by chicken feathers, with alternating black and white feathers. She stared at the little casket that was carried out of the courtyard by way of the central path, on its way to the cemetery. Alone among all those who could not ignore the sad event, the old woman had thus made her first appearance that day. No one had seen her offer her condolences to the mourning family, or even exchange a single word with the other neighbors of the concession. The adults were stupefied, and the children began to enter a world of disquieting strangeness and fear. During the months that followed the funeral the members of the mourning family remained inside their lodging. They finally moved, so they said, because they had other children to protect. That is the way this story of aze began among us. Our neighborhood, which had sprung up quite recently, was quite the opposite of the more elegant administrative residential quarters inAbidjan. Ours was inhabited by Africans from other countries—immigrants. The old woman and her niece belonged to an Akan family, expatriates of long date, from the Gold Coast (now Ghana). Her niece was from the border area of the Gold Coast, and the two women kept in close contact with their family and friends on the other side of the border. The other families in our compound came fromDahomey (now Benin), from Upper Volta (now Burkina Faso), and from Togo. The old woman was still attractive, and her niece adored her. She was the only person of her age in our quarter, and not a single child dared appear on her porch (which was pleasant for its cool shade thanks to the baobab). The niece had already lost her grown son. Since his death she had remained alone except for her aunt, to whom she was devoted. The unexplained death of her son came back to the surface during this period. The two women were Christian, of a Protestant denomination, and it was therefore permitted for them to not search for the causes of her son’s death; above all they were not to search for a meaning through divination. [All West Africans not of a monotheistic persuasion would have gone to a diviner—an Afa bokono among Ewe and Mina—to find out why the person had died; but Christians considered that practice to be pagan.] Everyone in the concession was either Christian or Muslim, and the moments consecrated for religious practice provided the rhythm of daily life, of the end of the week and rest from work. Like numerous other African citizens, we all thought of « traditional » African practices as backward. The circumstances surrounding the little boy’s death and burial stunned us all and stirred up memories and ideas of obscure origins. The huge baobab that was hanging over the lodging of the two women was so high and so thickly leafed that it had become a kingdom of owls [azeheviwo, or « witchbirds »]. From that day on children no longer tried to stave off the moment they had to go to bed. As soon as they lay down for the night they closed their eyes tightly so as to go to sleep as quickly as possible. The baobab that had become a tree for night-birds was thereby also a tree for azetowo (witches). That image fed the children’s night terrors. It was good to sleep together, and heaven help the child whose parents thought they were favoring him by giving him a bed of his own. The days went by. The atmosphere had completely changed in our big courtyard. We all avoided the two women but were careful to show our respect for them in all of the usual ways. We went about our daily business in silence, whereas before that event our activities were full of the banal noise of life, exclamations of pleasure or of anger, laughter and crying of children. The old woman’s niece was troubled by her aunt’s behavior the day of the child’s death. Without knowing exactly why, she went to consult a diviner. She wanted to know why she herself had remained without a husband and children for so long. The old diviner smiled and gave her some leaves to put in her bath water. She used this whitish amasi (mixture of leaves and water) for her daily ablutions. It was as though she was protecting herself from her aunt, whom she silently accused, through her ritual behavior, of having killed her (the niece’s) husband as well as the little child who had recently died. Then her aunt’s legs began to change form and become cylindrical. The old woman soon returned toGhana with her niece and stayed there. Later the younger woman came back to our compound in Treichville, spoke of her aunt from time to time, and said that the old woman’s limbs had become cylindrical. But she said less and less to us as time went by, and eventually she left the neighborhood. That is a childhood memory, my own childhood memory, shared with a certain number of children. In it there is the element of the Imaginary [2] . On the basis of that story, what happened inside the head of each one of us? It was said that the little boy had “returned home” (“to his own country”). Many questions remained with regard to the cause of that child’s death, but also with regard to the physical transformations of the old woman. Such phenomena are interpreted in the same fashion inGhana,Cote d’Ivoire, andTogo. Obviously, as a little Togolese girl I knew about the physical modifications the old woman was said to have undergone after her niece accused her of having harmed her own family. (The niece did not, however, employ the word “sorcery.”) I had always heard the description in Togo, by people who were speaking of the sorcery of old women… Often what was said about that form of sorcery was that the old women’s limbs changed shape. In these stories of sorcery, in the descriptions of the witch, she or he is never someone who will be lynched, for example, but rather someone who will be abandoned, left in some corner. People will come and insult her and say to her, “You are the one who killed so-and-so. You must leave.” But she remains a member of a lineage, in which she has harmed one of her own, a family member (close or distant), and one cannot in all decency condemn a member of one’s own family [or lineage] . But what is extraordinary, what is often said, is that even before the situation becomes clear (before accusations begin) our azetowo (witches, sorcerers) enter into a process of internalizing the representations of sorcery—they have already taken the first step, by feeding the representations of sorcery, by saying, “That child who has died, I killed it.” (“Enye xoe” – “I’m the one who took it.”) They also say, “You are persecuting me,” speaking to the child’s spirit. And, addressing others, “It’s because of you that I took the child.” It’s a vicious cycle. The witch is speaking both to the spirit of the victim and to the family of the victim. It is an old woman or man speaking to spirits persecuting her and at the same time saying to the family of the victim, “Leave me alone.” “Enye wu devia—devi hou-an amega degbedo la va nyi eye nti me xoe do.” (“That child became a powerful person—that’s why I took it.”) The witch says of a child that is still alive but ill, “I tried everything to have that child, but his soul (kla) is too strong.” What is interesting is that the person doesn’t ever say that she is crazy; she waits for the title of azeto to be accorded her. She won’t necessarily be harmed. J. Rosenthal: How does she feel about all of that? L. Ekoué: Her experience is that of feeling n’bia, or jealousy, or something that troubles her sufficiently for her to demand the title of azeto, even when she wants to get out of the role of azeto. Judeo-Christian thinking makes of sorcery something that can’t be remedied, but inAfrica the azeto is someone with links to other persons. Her deeds have to do with her links with others, her kinship. Individuals who have lost most of their family members might be azetowo or victims of azetowo or both. Ewe and Mina ideas of aze go beyond Judeo-Christian thinking of the good/evil oppositions and beyond the discourse of guilt. A person can actively claim the title of azeto. West Africans in rupture with tradition, especially those who became Christian, looked elsewhere for the answers to their disquiet over the existence of unexplainable and unjust death and other misfortune. (The geomancer or bokono (diviner) was said by Protestant missionaries and Catholic priests to be the Devil.) To avoid grave problems African Christians fasted, prayed to Mary, gave God gifts, etc., which were the same sorts of solutions that would be resorted to in non-ChristianAfrica. My story constitutes an important instance of an endless constellation of stories that nourish and give meaning to the relationship between West Africans and aze. One cannot refuse to recognize the influence of Christianity that came to make sorcery into something linked to Satan. So we might draw a parallel between Christian visions of sorcery and Christian interpretations of Legba, for example. Legba was the absolute trap trickster of Christianity, for since the days of the colonial occupation missionaries have translated the word Satan as “Legba”, although Legba had nothing whatsoever to do with Satan. (It was as though Legba had indeed tricked the Christians.) Now the azeto does in fact have to do with evil, but with a basis in n’bia. And that is something basic to human nature, not just to the nature of some transcendent Satan. In Togo and Ghana we say that human nature has been both good and bad since the beginning, both peaceful and violent, both creative and destructive, like everything else in the world, everything in the entire cosmos itself, according to West African religions. So the West African discourse on the subject of sorcery is constructed of such stories. We might say that when an anthropologist interviews an informant on issues of sorcery, the stories that are told are the result of this cultural construction carried out over generations around the predicament of sorcery, suffering, and misfortune. Every individual contains within herself positive and negative elements—they are integral to all human beings. They have a power to act on reality (agency), and the result can be violent. Thus one could say that a person is (considered to be) more powerful in Africa than in Europe. That is why there is such a discourse about the danger of keeping jealousy or rivalry in the stomach (edome); these negative passions have their own agenda, so one must get rid of them. (Here, I must remind you that the relationship between ethno-psychoanalysis and anthropology is always deeply unstable. The symbolic and practical wealth of the clinic is that in essence it pushes us towards a balance. We have to be watchful. If we lean more towards anthropology or towards psychoanalysis too entirely we put ourselves or the patient in danger. Devereux already wrote about that. We need an anthropological reading of psychoanalysis as well as a psychoanalytical reading of anthropology.) The West African community develops a strategy of enculturation and of specific rules of conduct and laws so that the good of all might reign, so that aze can be used for the good. Aze in its constructive dimension is a motor for a creative Imaginary, both in its social sense and in its very personal form. (Reader – Stop here if time is almost up!) J. Rosenthal: Several elements of your narrative make me think of René Girard’s [3] writing about how Oedipus and Apollo are both cursed divinities who are accused of bringing on the plague, and whose punishment then stops the plague. They are the ones responsible for the crisis and responsible for bringing order back to society. He says that this duality characterizes all forms of the sacred. Women who say they are witches sometimes are the sacrificial lambs or the scapegoats of a crisis. They know that they are not guilty in the strict sense, but they are ready to take upon themselves the weight of guilt or shame so that a ritual may be performed, so that something is done about the crisis and about those who are ill. Then healing can begin. I think that the work of René Girard on sacrifice, mimesis, and ritual violence can be interesting in our study of West African religion, even if we don’t agree with his use of the word « primitive » and don’t adhere to his almost doctrinal position on mimesis. We can’t deny that many origin stories and foundational myths in face-to-face societies include a murder that is situated at the beginning of everything. « Our long-lasting incapacity to perceive the threat that internal violence constitutes for primitive society prevents us from recognizing that ritual provides a relatively effective protection against this threat » (Girard 2002 p. 249 [Rosenthal’s translation] ). While you were describing the « cylindrical shape » of the azetowos’ arms and legs (a changing of shape, or a shape shifting that is interpreted to be part of the person’s wish to harm others), I was thinking about Girard’s (p. 252) discussion of Artaud’s Le Theatre et la Peste (p. 29). « [Artaud] interprets the physiological process as a dissolution of organs, a sort of fusion, a liquefaction of the body, or, on the contrary, a desiccation and pulverization. This loss of organic differentiation is mythical as far as medical science goes, but all powerful with regard to aesthetics in the sense that it models the pathological symptoms on the falling apart of the culture, producing an irresistible impression of disintegration. » (Girard) L. Ekoué : Yes, the frightening aze that we are speaking of is the power for good and evil that is not controlled. It therefore can easily slide into evil consequences. It exists as potential power in everyone. Working with Afa divination helps a person to become conscious of her personal powers and potentials, and therefore to not fall into the trap of unconscious acts that would harm herself and others, especially her loved ones, the family and the lineage. Should that happen s/he becomes an azeto and thus a pariah. Initiation in Afa protects a person as well as others. Certain Afa signs include particular forms of violence, and so when the person knows this s/he can work on herself so as to avoid commiting violence against herself or others. The azeto develops harmful and destructive power consciously or unconsciously. Her desire is unconscious, but the acts might be conscious. The person can wonder why she is doing harm. That conscious dimension is what brings some people to confess acts of aze. During an Afa ceremony, when it comes to praying to the Na (female forest spirits), one never thinks of a person, but rather of spiritual entities. They are the archetypal mothers of the beginning, myths, and not real women or souls of the dead or ancestral shadows. They are a sort of Vodu substance, the numinous. Twins (venaviwo) also are of the same nature—principles of the beginning—a duality necessary for the beginning of the world, the fetume (dzogbese—the beginning, before conception, where the kpoli, or life sign, already exists). Na and venavi are in the space where life and non-life exist together). J. Rosenthal : That makes me think of Nana Ablewa, the Gorovodu deity among Ewe and Mina, who is a primordial mother vodu (whose color is white) and Nana Wango (whose color is black), the fiercely protective mother and grandmother, the passer, the piroguier or ferryman in her masculine form. Gorovodu worshippers pray to both of these mothers to protect them from aze and from azetowo. L. Ekoué : That is full of resonance for what I’m saying. We are truly speaking of the same thing, the same cultures. It is necessary for those of us working clinically to employ these representations, and when we hear these myths we know more about how we ourselves are structured (especially we Africans). You and I validate each other with these examples, this close knowledge; it’s like magic. When you and I speak together all the experience of the clinic comes into my head as well as the representations woven from the memories of my childhood. Childhood memories give body to theory. We have a creative tension in this work. We confront each other with our knowledge and our theorizations. It is better than supervision in the clinical setting in which a “superior” watches over one’s work. Supervision is a sort of maintenance of one’s clinical work. But this kind of work delves more deeply. The notion of aze is extremely complex. We have to take into account the universe in which it occurs. People live these stories as pieces of life. Léocadie Ekoué, Judy Rosenthal. Translation by J. Rosenthal. [1] This would be « the thing, » a material/psychic dimension, « abyss, » suffering without a name, that no words can describe, that cannot be represented at all, the Lacanian « Real, » that will appear from time to time in these narratives. [2] Here, rather than simply use the word « imagination, » which would almost have been equal to the task, Ekoué employs a Lacanian term, « l’Imaginaire, » referring to the element of the psyche that is linked to images, the ego, identities, dualities of self and other, « duel relationships, » etc. Thus it is a perfect term to refer to a situation ofn’bia or rivalry, with its attendant passions of envy and death-wish. The other two Lacanian terms that accompany the Imaginary are the Real and the Symbolic, both of which are also useful for ethno-psychologists, anthropologists and writers of all sorts. [3] La Voix Méconnue du Reel: Une théorie des mythes archaïques et modernes; pp. 248, 249
Le crabe signifiant
Judy Rosenthal
Le 05/02/2012
En Afrique de l’Ouest, l’esclavage domestique a été pratiqué de différentes façons par différents peuples à différentes périodes de l’histoire, mais on sait que nombreux étaient les esclaves domestiques qui se mariaient dans la famille de leurs « maîtres » et héritaient de leurs biens. Il était tout à fait impoli (et même illégal dans certains lieux) de mentionner qu’une personne était un esclave ou était né de parents esclaves. Au cours du temps, certains esclaves devinrent relativement riches, et, de fait, leurs enfants n’étaient pas différents de ceux dont les parents n’étaient pas des esclaves. Aujourd’hui, dans certaines régions du Ghana du sud est, du sud du Togo et du sud-ouest du Bénin, de nombreux Ewes disent que l’un ou plusieurs de leurs arrières grands-parents était « une personne achetée ». Ces ancêtres auraient été achetés ou capturés parmi des peuples vivant au nord du pays Ewe ; leurs maîtres ewes auraient professé une admiration pour le « peuple du nord », sa musique, ses vêtements, et ses dieux. Malgré cela, ou peut-être précisément à cause de cette admiration, et même lorsqu’ils étaient bien traités, les esclaves de la première génération n’étaient pas considérés comme des Ewes. Cette profonde différence dans l’identité aurait partie liée avec le langage. L’histoire du crabe signifiant, (je fais ici une référence signifiante au Singe Signifiant de Louis Gates (1988)), révèle précisément l’extrême ambiguïté des relations légendaires entre les Ewes et leurs « personnes achetées » (esclaves). L’histoire vient du pays Anlo, dans la partie ghanéenne du pays Ewe. On en trouve une version dans Blema Konuwo, Lododowo kple Adaganawo, de R.K. Nutsuako (1977), un livre en ewe, de et à propos de proverbes et expressions ewes. Dans cette longue histoire, les catégories du sauvage et de l’apprivoisé (« civilisé ») ont infiltré les catégories des « personnes achetées » et des « personnes de la maison ». Dans le livre, cette histoire trouve sa place en tant qu’explication de l’origine du proverbe : « L’esclave comprend lalangue, mais il/elle ne comprend pas ‘le crabe sauvage‘», ou, traduit de façon légèrement différente, « l’esclave comprend la langue, mais il/elle ne comprend pas les expressions signifiantes ». Au lieu « d’expressions signifiantes », nous pourrions dire « ewe profond », « ewe local », « dialectal » ou « vernaculaire ». En le transposant à la culture américaine, nous pourrions traduire, entre autres, par « langage de la rue ». Bien entendu, ces définitions ou ces traductions ne veulent pas toutes dire la même chose, mais l’expression « crabe sauvage » fait référence à des façons de parler qui ne peuvent pas être directement comprises par des étrangers au pays, à la région, ou au groupe, même s’ils ont appris la langue ewe. En ewe le proverbe dit : « Adoko se Evegbe ; mesea ‘adagana’ o. » Adoko est un euphémisme ou un substitut poli pour le mot amefefle, personne achetée. Se signifie « entendre » ou « comprendre ». Gbe signifie « mot », « voix » ou « langage ». Adagana en est venu à signifier «cochon (Latin) Ewe » ; il s’agit là d’inventions langagières ou d’expressions qui peuvent être utilisées pour souder un groupe et le séparer de ceux de l’extérieur, incapables de comprendre ce qui s’y dit, même s’ils comprennent le ewe « régulier ». Mais, adagana est une variation deadangalan, ou « crabe sauvage » (da signifie « sauvage » ; agalan signifie « crabe »). Selon Nutsuako (1977 :103), l’expression vient d’une histoire ewe vieille de plusieurs générations (avant que l’esclavage domestique soit aboli), à propos d’un homme qui reçut la visite d’étrangers (amedzrowo). Il demanda à sa femme d’aller derrière la hutte, de pêcher cinq crabes dans son vivier et de les faire cuire pour les visiteurs. Elle attrapa quatre crabes, mais le cinquième, trop malin, (ou « mauvais », mais plutôt « malin » en anglais ghanéen) s’enfuit. Contrairement à celles des crabes apprivoisés, ses pinces étaient très longues et acérées. C’était un crabe sauvage (adangalan). Quand elle raconta cela à son mari, en présence de leur esclave, celui-ci dit qu’il ne connaissait pas la différence entre les crabes sauvages et les autres et qu’il souhaitait aller voir. Apercevant le crabe sauvage qui détalait, il s’exclama : « Ils n’ont pas du tout l’air différent ! ». La femme s’exclama à son tour : « L’esclave comprend la langue, mais il ne comprend pas ‘adangalan’. » Quelle est la nature exacte de l’objet du verbe comprendre dans ce contexte ? Fait-il référence à l’expressioncrabe sauvage ? Désigne-t-il le crabe sauvage lui-même, l’animal réel ? Peut-être l’esclave-étranger était-il incapable de comprendre la prononciation des mots « crabe sauvage » ? La femme se référait-elle plutôt au signifiant ou au signifié ? Le mot « adangalan » était-il entre guillemets dans cet exemple spécifique, et si oui, que signifiaient ces guillemets ? Peut-être la femme parlait-elle simplement de l’incapacité de l’esclave à faire littéralement la différence entre crabes sauvages et crabes domestiques, ou peut-être entre crabes réels et crabes signifiants (de différentes sortes), ou bien encore de son ignorance du sens du motadangalan. À moins qu’elle ne voulût signifier, à un autre niveau, la nature de crabe sauvage de l’esclave ? (Dans la culture ewe, on peut associer, parfois de façon admirative, état sauvage et nature de l’esclave). Ou bien encore, elle aurait pu vouloir impliquer que l’esclave ne savait pas (ou ne savait pas comment) faire la différence entre état sauvage et non sauvage (domestication, nature « civilisée », normalité etc.), ou entre personnes libres (« gens de la maison ») et esclaves (« personnes achetées » – amefefle, adoko). Le fait que le crabe sauvage se soit enfui, malgré l’association état sauvage, esclave, tandis que l’association domestication, groupe des maîtres conduisait les crabes les plus civilisés dans l’eau bouillante pourrait bien ne pas être un simple détail. (Ici, Levi-Strauss (1969) nous rappelle l’équation entre « cuit » et « civilisé » dans de nombreuses cultures, et le fait que le bouilli représente le summum en termes de cuisson.) Lorsqu’on voyage parmi (entre, à travers) les frontières de l’univers ewe, vaut-il « mieux » distinguer ou pas (éthiquement, ethniquement, politiquement, linguistiquement, poétiquement, spirituellement, esthétiquement, militairement, etc), entre état sauvage et non sauvage, esclaves et non esclaves [2] , entre nouveaux venus et ceux à qui appartient la terre, entre groupes étrangers et indigènes, personnes achetées et personnes qui en achètent d’autres, entre cuit et cru, entre crabes qui s’enfuient et crabes qui se font manger ? [3] Ces différentiations sont lourdes de sens. L’esclave disait que les ressemblances étaient plus fondamentales que les différences ; cette position implique un continuum dans la conception de la nature humaine et des différences culturelles. La femme signifiait que l’esclave était un étranger (et donc que les visiteurs avaient un statut latent d’esclaves, ou proche de la catégorie esclave, du fait de leur qualité d’étrangers) et que sa condition d’esclave avait à voir avec son absence de maîtrise des nuances les plus subtiles de la langue ewe et des crabes ewes. Dans son discours, les différences, où se retrouvaient un certain nombre d’oppositions binaires, étaient plus significatives que les similarités. Elle pouvait se permettre cette position politique et domestique. (En d’autres circonstances, dans un contexte ewe, il aurait pu être plus avantageux pour un esprit esclave d’insister sur les différences plutôt que sur les similarités ; ainsi par exemple lors du culte des esprits esclaves aujourd’hui, où l’on fait l’expérience saisissante de l’absolue altérité entre eux et les Ewes dans le discours et la transe. Le refus de l’esclave de voir une différence, là où cette différence était prétendument palpable pour ses maîtres, était une façon de signifier leur tendance à exagérer les nuances, la tendance même qui se manifeste dans des pratiques qui consistent à assigner une place aux gens, voire, purement et simplement à les opprimer. L’Ewe Anlo insiste sur l’énorme variété de crabes vivant dans le pays. Il y en a tellement que quelqu’un qui ne serait pas expert en crabes, ou un non-Ewe, pourrait se perdre dans la profusion des différences et imaginer que tous (crabes et gens) sont semblables d’une certaine façon. En effet, quelqu’un qui n’a étudié ni les crabes, ni les Ewes et leurs voisins, pourrait se prononcer en faveur de leurs ressemblances plutôt que de leurs différences. Il pourrait ne pas remarquer la différence entre crabes sauvages et domestiques, ou entre Ewes et étrangers qui parlent ewe. D’un autre côté, les Ewes honorent les esprits des esclaves disparus qui appartenaient à leurs ancêtres. Certains étrangers « sauvages », non-Ewes, capturés et décédés, sont ainsi divinisés, recréés en tant que vodus (dieux). Aussi, la femme ayant laissé échapper le crabe à cause de ses longues et méchantes pinces, pour signifier ensuite que l’esclave était, par nature, étranger et captif, aurait dû, de fait, manifester une pointe d’admiration (et de désir ?) pour l’être sauvage et étranger, au moment même où elle se démarquait elle-même de ces caractéristiques non ewes et soulignait le manque de finesse de l’esclave, en termes de nature ewe. Les longues et fortes pinces sont également des signifiants du fait que certains esclaves devinrent des ancêtres – le plus souvent des femmes, mais des hommes aussi à l’occasion. Attention au crabe sauvage qui pourrait engendrer des crabes à demi sauvages dans le monde domestique. Certains Ewes, au Togo, conservent des noms (par exemple Donko et Klu) qui témoignent du fait qu’ils sont issus de parents esclaves (ou qui ont été consacrés aux vodus comme esclaves). Les Ewes portent les noms qu’ils souhaitent garder et il est relativement facile de changer officiellement de nom de famille au Togo. Il n’y a donc aucune raison de conserver ces noms, à moins qu’on ne souhaite maintenir le souvenir constant de la relation historique d’un individu ou d’une famille avec l’esclavage domestique (ou, dans l’autre cas, avec le culte vodu).[4] Les pôles admiration – mépris qui caractérisaient les relations des Ewes avec leurs esclaves hier et aujourd’hui (sous la forme du culte des esprits esclaves), et avec les étrangers en général actuellement, sont perceptibles dans des proverbes tels que : « L’esclave comprend la langue ; il/elle ne comprend pas adagana ». Le nom même de certaines expressions signifiantes, distinctes des proverbes, (lododowo) est adagana. Je voudrais argumenter le fait que le proverbe cité ci-dessus est lui-même un adagana, dans la mesure où c’est ce que pourrait dire un Ewe à un autre Ewe, pour s’exprimer de façon signifiante sur le fait d’être étranger, en présence d’un étranger, de façon à rendre celui-ci perplexe. Dans ce cas, le crabe sauvage a donné son nom à une expression signifiante générique. C’est un exemple d’entrées dans la catégorie même qu’elle désigne. Un autre Adagan qui est étrangement similaire (mais néanmoins différent) au légendaire original dit : (et ceci est une variante en Guin togolais) « Yovo se gbe ; yovo mese ‘agban gban’ o ». Cela signifie, « La personne blanche comprend la langue ; il/elle ne comprend pas ‘le craquement du bol’. ». « La personne blanche » ne saisit pas le sens du craquement sonore du crabe sauvage adangalan ; elle n’entend que le bruit trompeusement similaire, « agban gban », d’un bol qui se casse. (Agban est également le mot pour « fardeau » ou « fardeau de tête » que les blancs sont notoirement incapables de porter (et refusent donc de porter), au contraire des esclaves, dans le passé). De fait, très peu de blancs ont réussi à acquérir la maîtrise du crabe signifiant en langue ewe, langue dont n’importe quel villageois ignorant manie avec une évidente et brillante virtuosité les traîtresses subtilités (ce qui est vrai de n’importe quel locuteur natif dans toutes les langues). De la même façon, d’autres étrangers, – par exemple les esclaves du nord – ne parviennent jamais qu’à une maîtrise approximative – si nous en croyons l’adagana. (L’auteur témoigne ici qu’elle se trouve elle-même en bonne compagnie). Cette histoire montre que les différences entre les langues sont des points de référence majeurs dans la vie de tous les jours. Dans une région où il y existe une langue différente ou significativement différente tous les trente ou soixante kilomètres, et où nombreux sont les individus qui parlent trois ou quatre langues, la nature mystérieuse de la différence linguistique et culturelle est à la fois domestiquée à travers une enfance encombrée de différentes langues et resacralisée à travers le rituel. Ainsi, durant les cérémonies Gorovodu, les esprits hôtes ou « épouses » (tronsiwo) glossolalisent en twi et hausa. Ces sons incroyables et étranges proviennent du fait que l’esprit de l’esclave du nord est entré dans l’esprit personnel de l’hôte ewe (dans son propre « trou » ou « estomac » en ewe). Et durant les cérémonies de Mama Tchamba, on peut entendre la glossolalie de Kabye, (cela fut le cas, même pendant la période de 1985 à 1994, où Kabyes et Ewes étaient supposés avoir rallumé le feu de la haine ethnique éternelle selon la presse gouvernementale). [5] Durant les célébrations de Mama Tchamba, on peut entendre les assistants murmurer entre eux : « Regarde, maintenant elle est un esprit esclave kabye – Ecoute comme elle parle kabye – Vois comme elle est belle ! ». Les adeptes en transe sont amenés dans une hutte Vodu pour être revêtus de superbes costumes typiques des gens du nord, puis ils reviennent parmi la foule des fidèles, pour danser dans un état de grâce absolu, pour prophétiser et signifier brillamment ou grossièrement (ou les deux en même temps) dans un mélange d’ewe, de gui, twi, et autres langues du nord. Cette admiration pour l’exotique et impensable différence des Autres est ramenée à soi-même et à son propre peuple durant des moments qui échappent au rituel. « Nous, les Ewes, nous parlons un mystérieux, difficile et beau langage (gbe) ; Il ne peut le maîtriser, celui qui n’y est pas né». Et de ces Ewes, habités par les divinités kabyes durant la transe, on ne dit pas qu’ils maîtrisent la langue kabye, mais plutôt qu’ils sont maîtrisés et traversés par elle, alors qu’elle les parcourt périodiquement et de façon momentanée. Leur transe extatique jaillit d’une pratique ludique du langage, d’un déliement des langues, d’une avalanche de mots et de syllabes kabye (twi, hausa, nago, tchamba, mossi, etc.), dégringolant de leurs bouches (de leur estomac), plaisir de jouer sans vergogne avec les organes de la parole des Autres les plus fondamentaux. Ou plutôt, ces acteurs privilégiés pourraient dire, s’ils devaient théoriser ces pratiques, que ce sont précisément leurs propres organes de la parole qui sont le jouet de la langue des divinités-esclaves, et qu’ils s’abandonnent eux-mêmes à cette refente sacrificielle de leur propre langue/corps/trou, à travers ces mots venus du nord, ces voix de l’esclave étranger inconsolable, cet autre si exquisément non soi-même. Judy Rosenthal (anthropologue, professeur à l’Université de Flint) Remerciements : J’ai obtenu le matériel adagana, alors que j’effectuais un travail de recherche financé par une bourse Fulbright-Hays et une Charlotte W. Newcome. Je voudrais remercier ces deux agences ainsi que Edem of Kodjoviakope, qui m’a introduite aux pratiques adagana et Barbara Baeten, qui m’a aidée à franchir la frontière. Notes [1] Le nom complet de l’auteur est Osofo R. K. Nutsuako. Le titre « Osofo » est employé à la fois en asante et en ewe pour indiquer qu’une personne est un prêtre chrétien, un prêtre gorovodu ou tout autre spécialiste religieux. [2] L’accent mis sur le terme de la dominance souligne la relativité de la dominance, et c’est bien ainsi que cela doit-être, au regard des concepts concernant les modes de relations chez les Ewes. [3] Cf. la fameuse étude de Sir Edmund Leach (1964) sur les catégories animales, dans laquelle les structures de la terminologie concernant la nourriture et les relations familiales indiquent qu’en termes de catégories, on ne peut se marier avec ce qu’on ne peut manger. [4] Mamattah, qui mêle de façon inimitable l’histoire orale des Ewes avec le mythe des Adventistes du Septième jour, écrit l’introduction suivante au chapitre « Les clans de Anlo » : Les douze clans de l’origine, établis par le vétéran duto venya quand les Anlos arrivèrent en pays d’Anlo et configurés de façon à correspondre aux douze tribus d’Israël, sont ici énumérés. Avec l’octroi de privilèges attachés à la naturalisation d’étrangers et d’esclaves affranchis, les clans en Anlo ont atteint le nombre de quinze ». (1976 :159). Ainsi, des esclaves, aussi bien que d’autres groupes culturels et linguistiques totalement différents tels que le peuple Adan, reçurent des identités claniques au cœur des frontières mouvantes du pays, de la culture et des relations familiales ewes. [5] Telle est la situation actuelle au Togo, où le dictateur du nord, depuis longtemps au pouvoir, prétend que l’opposition démocratique qui essaye de le renverser, est en fait une conspiration « tribale » du sud. En 1990-1994 eurent lieu des crises violentes, avec notamment des affrontements entre une armée essentiellement composée de gens du nord et des civils du sud, affrontements que ceux-ci ont payé au prix fort de leur vie. Tandis que la presse officielle dénonce « le conflit et la haine tribales », de nombreux villages dans le sud continuent à célébrer Gorovodu et les cérémonies de Mama Tchamba, cultes des esprits du nord qui appartiennent précisément aux groupes ethniques du président-dictateur et de ses soldats. Certaines de ces communautés vodus ont été la cible particulière d’interventions militaires meurtrières, car elles sont des lieux bien connus de désir démocratique et d’opposition à la dictature et à ses pratiques de népotisme hégémonique ou « d’état tribal ». Ces fidèles savent merveilleusement et précisément faire la différence entre différenciation ethnique/linguistique sacrée et soi-disant opposition tribale. Références citées Gates, Henry Louis, Jr. 1988 The Signifiying Monkey ; a Theory of Afro-American Literary Criticism.New York :OxfordUniversityPress. Leach, Edmund R. 1964 Anthropological Aspects of Language : Animal categories and Verbal Abuse. In New Directions in the Study of Language. Eric H Lenneberg, ed. Pp. 23-63,Cambridge,MA : MIT Press. Lévi-Strauss, Claude 1969, The Raw and the Cooked.Chicago :UniversityofChicagoPress. Mamattah, Charles M. K. 1976 The Eves ofWest Africa ; The Anlo-Eves and Their Immediate Neighbours. Oral Traditions, Vol. 1. Keta, Ghana : Research Publications. Nutsuako, R. K. 1977 Blema Konuwo, Lododowo kple Adaganawo. Accra : Ghana Publishing Corporation.
La langue étrangère à l’école
Laura Tarafas, psychologue clinicienne
Le 01/10/2012
Après avoir considéré les phénomènes liés à la langue étrangère comme de potentielles problématiques liées à la migration (cf. articles précédents), penchons-nous maintenant sur l’école. Car se représenter soi-même, se projeter, et s’exprimer dans une langue étrangère ne pose pas seulement problème aux migrants, mais également à chaque personne qui fréquente, ou a fréquenté l’école. En effet, peu échappent à cette expérience parfois perturbante de la langue étrangère, souvent sous la forme de l’anxiété. Entrons donc maintenant dans la salle de classe. L’acquisition d’une langue étrangère dépend largement de l’individu, avec des facteurs à la fois cognitifs et affectifs tels que l’anxiété, l’inhibition, l’estime de soi, la capacité à courir des risques, l’auto-efficacité, les styles d’apprentissage ou la motivation. Parmi ceux qui y font obstacle, le premier est l’anxiété. Il en existe deux types : l’anxiété facilitatrice et l’anxiété inhibitrice. Nous n’aborderons ici que cette dernière, qui empêche l’effort en vue de réaliser une tâche. Certains chercheurs sont convaincus que le contexte d’apprentissage d’une langue étrangère crée une forme spécifique d’anxiété (Gardner, 1985). Elle ne doit donc pas être confondue avec l’anxiété généralisée, transférée à la situation d’apprentissage (Spielberger, 1983, cité par Tóth, 2008), ni avec l’anxiété spécifique à la situation – c’est-à-dire au moment où l’étudiant est face aux épreuves scolaires, ce qui serait une anxiété de performation (MacIntyre et Gardner, 1991). „L’anxiété liée à l’utilisation d’une langue étrangère pourrait être définie comme une tension et une agitation. Elle est spécifiquement liée au contexte d’exposition à une langue étrangère, que ce soit en expression orale, en compréhension ou en apprentissage” (MacIntyre et Gardner, 1994, p. 284). Cette anxiété, appelée en anglais foreign language anxiety (FLA), ou foreign language classroom anxiety (FLCA) pour insister sur le contexte scolaire, peut être divisée en trois éléments. Tout d’abord, le trouble de la communication se présente au moment où l’élève se rend compte qu’il ne possède pas un niveau suffisant pour s’exprimer de façon authentique. Cette situation inconfortable naît lorsque les apprenants cherchent à communiquer des idées élaborées à l’aide de ressources linguistiques insuffisantes : cela peut entamer leur estime d’eux-mêmes. Ensuite, il existe une anxiété lors de la communication orale, en raison du caractère public de la situation. De fait, le rapport au moi peut difficilement s’exprimer dans la langue cible, du moins au début. Le processus même d’apprentissage d’une langue étrangère fait que nous ne pouvons pas nous sentir nous-même en la parlant. Ceci est d’autant plus vrai chez les adolescents, qui désirent être acceptés par leurs pairs. En effet, plusieurs exemples montrent que même les élèves sachant bien prononcer la langue cible font parfois volontairement des productions incorrectes pour être perçus comme les autres. Ce phénomène, cristallisé dans le contexte scolaire, est aussi remarqué par Erickson (1968) qui évoque, comme mécanisme de défense des adolescents contre la diffusion de l’identité de l’autre, l’intolérance à l’altérité. Enfin, MacIntyre et Gardner distingue un troisième élément : l’anxiété se nourrit également d’un aspect inhibiteur. Par exemple, même si l’élève fait énormément d’efforts en révisant et en se préparant à l’avance, son anxiété l’empêchera d’obtenir le résultat souhaité : cela donne l’impression que la situation n’est pas maîtrisable. Ce troisième élément est lié à la peur d’être critiqué par ses camarades, et surtout par le professeur. Il faut souligner encore une fois que chez les adolescents, le concept du soi est extrêmement fragile. Pour eux, les camarades et le groupe deviennent le nouveau point de référence concernant la construction d’eux-mêmes. D’où l’importance du professeur pour créer une atmosphère positive, qui sollicite des relations constructives entre élèves (Koch et Terrel, 1991, Gregersen, 2007). Tous les aspects de la relation sont donc primordiaux : à la fois les processus interculturels, et les interactions dans la salle de classe, où il est nécessaire de prendre en compte les attitudes du professeur et l’établissement d’un climat de classe adéquat (Arnold, 2004). Arnold met aussi en lumière la situation spécifique des migrants et souligne la prise de conscience des difficultés rencontrées : „une attention spéciale doit être portée au thème de l’estime de soi [lors] de l’enseignement d’une langue seconde à des migrants car, éloignés de leurs référents culturels et familiaux, ils peuvent ressentir une diminution de [la] sensation de compétence (…) qui fait partie de l’estime de soi et qui facilite les apprentissages” (ibid., p. 417). Toutefois, l’anxiété liée à l’apprentissage d’une langue étrangère en classe ne se limite pas aux trois facteurs ci-dessus. En effet, s’y ajoute l’ensemble des perceptions de soi dans des contextes différents, des éléments affectifs et comportementaux, et des croyances et attitudes diverses (Gardner et MacIntyre, 1991). Pour leur part, Cohen et Norst (1989, p. 76 cités par Tóth, 2008) se concentrent sur le lien entre langue étrangère et identité. Pour eux, la langue et l’identité sont si étroitement liées qu’une attaque contre l’une a des conséquences particulièrement fortes sur l’autre. Guiora, de son côté, introduit la notion d’ego langagier : les élèves remarquent souvent qu’il se sentent altérés et qu’ils se comportent différemment quand ils s’expriment dans une langue étrangère (Guiora et Acton, 1979, p. 199). Rardin quant à lui, reprend la notion d’ego langagier et parle d’une angoisse existentielle, provoquée selon lui par l’apprentissage d’une langue étrangère : „si j’apprends une nouvelle langue, je me perds. Je perds le moi [en anglais, self] que je connais et mon Moi [Self] n’existera plus” (Young, 1991, p. 168). Beaucoup d’individus semblent confirmer cette théorie lorsque, de peur de perdre leur Self, ils conservent l’accent de leur langue maternelle, même après avoir vécu plusieurs années dans un pays dont ils maîtrisent parfaitement la langue. Kontárné (2004) pour sa part, analyse les différences d’acquisition en bas âge, et chez l’adulte. Elle conclut que si l’inhibition est plus fréquente chez les deuxièmes, c’est parce que leur image d’eux-mêmes liée à la langue maternelle est plus construite que celle des enfants. De fait, les adultes ne renonçant pas facilement à leur accent expriment ainsi leur appartenance à leur groupe langagier. Les jeunes progressent donc plus vite en ce qui concerne la prononciation. L’accent en langue sollicite également les réflexions des psychanalystes. Ainsi, pour Kaes (1999, p. 47-48), „l’accent n’est pas seulement l’une des émergences de la pulsion et du narcissisme dans l’acte de parole. Il témoigne des investissements engagés dans l’inflexion sur le mot, sur certaines syllabes. L’intonation se prend dans le rapport primitif d’identification à la mère parlante, plus largement à la sonorité du groupe primaire (…). L’accent dit l’origine, l’intime et le public, il suscite la honte ou la fierté, il déclenche l’attrait ou la répulsion : il est haï ou célébré. Dans un ensemble culturel donné, l’accent pourra prendre valeur de reconnaissance et renforcer le trait commun ou le trait distinctif : il contribue à soutenir le narcissisme des petites différences, confortant le trait identitaire (…). L’accent fonctionne ainsi comme repère identificatoire, signe de reconnaissance à l’intérieur de la communauté, et de distinction face à ce qui n’est pas la communauté”. Chez les enfants bilingues, l’anxiété liée à l’apprentissage d’une langue étrangère est, en général, moins présente (Tallon, 2011). Etant donné qu’ils utilisent au moins deux langues dans des contextes différents, ils se projettent plus facilement dans une troisième, voire une quatrième langue. Or, chez les enfants migrants, le bilinguisme se complique en raison des enjeux de la transmission familiale (Bensekhar Bennhabi, 2010). Finalement, peu importe le contexte : la langue étrangère fait écho chez l’individu, mais de façons nettement différentes. Toutefois, il ne suffit pas de parler une langue pour l’habiter. Rédaction : Laura Tarafas, psychologue clinicienne (septembre 2012) „The disparity between the true self as known to the language learner, and the more limited self as can be presented at any given moment in the foreign language would seem to distinguish foreign language anxiety from other academic anxieties.” (Horwitz, Horwitz et Cope, 1986, p. 128) Voir aussi l’article : Parler pour s’exprimer : construction identitaire chez l’adolescent Voir aussi l’article: Langue officielle et migration. Références : ARNOLD J (2006) : « Comment les facteurs affectifs influencent-ils l’apprentissage d’une langue étrangère ? » inÉtudes de linguistique appliquée n°144, p. 407-425 BENSEKHAR-BENNHABI M. (2010) : „La bilingualité des enfants de migrants face aux enjeux de la transmission familiale” in Enfances & Psy n° 47, 2010/2, p. 55-65 COHEN, Y., NORST, M. J. (1989) : “Fear, dependence, and loss of self-esteem: Affective barriers in second language learning among adults” in RELC Journal n°20, p. 61-77, Idézi Tóth, 2008 ERIKSON, E. (1968) : Adolescence et crise : la quête de l’identité, Paris, Flammarion, trad. en fr. : 1972. GARDNER, R.C. (1985) : Social psychology and second language learning: The role of attitudes and motivation, Edward Arnold, Londres GARDNER, R.C., MACINTYRE, P.D. (1993/b) : “A student’s contribution to second language learning, part II: Affective variables » inLanguage Teaching n°26, p. 1-11 GREGERSEN, T. (2007) : “Breaking the code of silence: A study of teachers’ nonverbal decoding accuracy of foreign language anxiety” in Language Teaching Research, Apr. 2007, Vol. 11, Issue 2, p. 209-221 GUIORA, A (1972) : “Construct validity and transpositional research: Toward an empirical study of psychoanalytic concepts” in Comprehensive Psychiatry n°13, p. 139-150 KAES R. (1999) : „Différence culturelle, souffrance de la langue et travail du préconscient dans deux dispositifs de groupe” in Différence culturelle et souffrance de l’identité, Dunod, 2005, Paris, p. 45-87 KOCH, A.S., TERRELL, T.D. (1991) : “Affective Relations of Foreign Language Students to Natural Approach Activities and Teaching Techniques” in E.K. Horwitz, D. J. Young, Language Anxiety. From Theory and Research to Classroom Implications, Prentice-Hall, Englewood Cliffs, New Jersey, 1991 KONTÁRNÉ HEGYBÍRÓ E., KORMOS J. (szerk.) (2004) : A nyelvtanuló. Sikerek-módszerek-stratégiák, Okker kiadó MACINTYRE, P.D., GARDNER, R.C. (1994) : “The subtle effects of language anxiety on cognitive processing in the second language” inLanguage learning n°44, p. 283-305 SPIELBERGER C.D. (1983) : Manual for the state-trait anxiety inventory (Form Y) in Palo Alto, CA : Consulting Psychologists Press, cité par OLÁH, 1995 et TÓTH, 2008 TALLON, M. (2011) : „Heritage Speakers of Spanish and Foreign Language Anxiety” inA Pilot Study Texas Papers in Foreign Language Education vol. 15, n°1 TÓTH, Z.S. (2008) : “A Foreign Language Anxiety Scale for Hungarian Learners of English”inWorkingPapers inLanguagePedagogy n°2, p.55-78 YOUNG, D.J. (1991) : “The Relationship between Anxiety and Foreign Language Oral Proficiency Ratings” in HORWITZ, E.K. et YOUNG D. J. : Language Anxiety. From Theory and Research to Classroom Implications, Prentice-Hall, Englewood Cliffs, New Jersey
Enfant entre les langues
Laura Tarafas, psychologue clinicienne (Cet article fait suite à l’article La langue étrangère et la dynamique individuelle.)
Le 01/10/2012
La construction identitaire des enfants migrants se caractérise par des aller-retours entre la culture d’origine et celle du pays hôte. Leur identité est souvent définie par le contexte donné : ils ont tendance à se caractériser par leur culture d’origine dans le pays d’accueil, mais une fois dans leur culture d’origine, ils s’y expriment souvent par leur appartenance au pays d’accueil (Dahoun, 1995). Lorsqu’il arrive à l’âge scolaire, l’enfant migrant découvre de façon douloureuse que salangue maternelle n’a pas la même valeur que la langue du pays d’accueil, ce qui empêche souvent le processus d’intégration. À ce moment, la réaction de la famille est primordiale : soutient-elle l’enfant pour qu’il conserve son bilinguisme, ou est-elle plutôt prête à se soumettre à la langue officielle ? Pourtant, la réussite scolaire d’un enfant migrant ne dépend pas seulement de l’attitude de la famille vis-à-vis de l’intégration. En effet, Bentolila (2008) souligne que les enfants doivent apprendre à lire et à écrire dans leur langue maternelle. Car : „prétendre apprendre à lire et écrire à un enfant dans une langue qu’il ne parle pas, c’est tout simplement le condamner à l’analphabétisme”. Et d’ajouter : „apprendre à lire et à écrire en wolof, en amazigh à des enfants qui ne parlent pas d’autres langues est une nécessité, car c’est là leur seule chance d’entrer sans rupture dans le monde de l’écrit, et d’apprendre à lire et à écrire ensuite en arabe et en français. Les difficultés linguistiques de l’enfant témoignent souvent de leurs conflits internes„ (Bentolila, 2008, p. 191). Pour grandir en effet, l’enfant migrant doit construire patiemment un nécessaire clivage entre la culture familiale – le monde de l’affectivité – et le monde du dehors, notamment de l’école, monde de la rationalité et du pragmatisme (Moro, 2002, p. 60). En outre, dans une situation qui nécessite une effort psychique important, tant sur le plan émotionnel que sur le plan cognitif, l’angoisse de la séparation est renforcée par la nouvelle langue, qui éloigne l’enfant de sa famille. Le professeur, comme personnage concurrent, peut facilement provoquer un conflit de loyauté chez l’enfant. Celui-ci ne trouve alors qu’un seul compromis : le silence. Cela lui permet d’être accepté partout. Il évite ainsi de trahir l’un ou l’autre côté. Par conséquent, on peut considérer le mutisme comme un mécanisme de défense sous la pression du stress. Dahoun (1995) distingue plusieurs types de mutismes selon leurs rôles. Tout d’abord, le silence révolte est un mutisme actif : une arme qui donne la force de réagir à une situation insupportable. Ensuite, le silence fusion met en évidence le rôle de la séparation dans le langage : en effet pour parler, il faut d’abord prendre de la distance. Derrière ce dernier cas se trouve souvent une relation fusionnelle de la mère à l’enfant : l’enfant utilise un langage sympraxique, sorte de culture secrète entre eux deux. Les paroles de ces enfants ne peuvent alors être interprétées que dans un certain contexte. Elles sont accompagnées d’une activité, et la plupart du temps, seule la mère parvient à les décoder, ce qui renforce encore cette relation fusionnelle. Dahoun souligne le fait que chez les enfants mutiques, d’autres membres de la famille souffrent souvent du même trouble, résistant ainsi à l’acculturation par le refus de la langue du pays d’accueil. Dans ces familles, les mères semblent déprimées et isolées. Elles portent la langue maternelle en elles comme un kyste, souvent transformée en une langue intérieure, pulsionnelle, qui ne véhicule que des sentiments et des souvenirs. Elles vivent en France depuis très longtemps, mais sont toujours fantasmatiquement dans leur pays d’origine. Ces familles isolées adoptent souvent une structure clanique : unies par des liens étroits, elles sont fermées sur elles-mêmes, cloisonnées, et perçoivent le monde extérieur comme menaçant. Le mutisme est donc un moyen de cohésion et de protection. Il favorise aussi une vie symbiotique entre les membres de la familles – souvent entre la mère et l’enfant, mais aussi entre frères et soeurs, ou entre le père et les enfants. L’hospitalisation en bas âge peut également être un facteur déclenchant de ce retrait, lorsque la rencontre avec la langue du pays d’accueil sest associée à un moment difficile. Du point de vue psychiatrique, le mutisme sélectif est un trouble défini comme le refus persistant de parler devant certaines personnes ou dans certaines situations, sans qu’il n’existe aucune altération ni de la compréhension du langage, ni de la capacité de s’exprimer verbalement (Domènech, 1996). Ce n’est pas un trouble du langage à proprement parler, mais plutôt un trouble psychiatrique qui se manifeste dans le champ du langage (Hesselman, 1983). Souvent sous-diagnostiquées, certaines formes transitoires en passent inaperçues. D’autres sont banalisées : par exemple, à l’école, l’enfant mutique passe pour être timide (Gelmman-Garçon, 2007). Toutefois, toutes les difficultés rencontrées par l’enfant, comme par exemple le mutisme, ne doivent pas être attribuées au bilinguisme. Lorsque l’on se trouve par exemple face à une situation de mutisme extra-familial, le symptôme doit être replacé dans son contexte familial, culturel et transculturel. La construction de deux ou plusieurs systèmes linguistiques demande un investissement cognitif et psychique important de la part de l’enfant. Si les difficultés existent dans les deux langues, et de manière importante, c’est la question d’un déficit structurel de construction des langues qui se pose (Sanson, Serre, Moro, 2008). La réaction d’un enfant vivant entre deux langues dépend donc de plusieurs facteurs. D’ailleurs, définir le bilinguisme chez l’enfant est délicat, car il en existe plusieurs types selon selon l’âge d’apprentissage (précoce ou tardif), la durée de la pratique et l’aptitude langagière (soustractive ou additive, d’après Lambert, 1977). La structure et la valorisation des langues font également partie des facteurs parfois ignorés, qui jouent un rôle fondamental dans la formation du bilinguisme. Il est par exemple très différent d’apprendre le français alors que l’on parle déjà anglais, ou alors peul : ces deux langues ont en effet des structures très différentes et sont valorisées différemment. Finalement, Bensekhar-Benhabi (2010) assure que le bilinguisme est complet et équilibré si l’exposition aux deux langues arrive tôt dans la vie, de façon consistante et soutenue, et à travers une riche variété de contextes. Laura Tarafas, psychologue clinicienne (Cet article fait suite à l’article La langue étrangère et la dynamique individuelle.) Références : BENSEKHAR-BENNHABI M. (2010) : „La bilingualité des enfants de migrants face aux enjeux de la transmission familiale” in Enfances & Psy n° 47, 2010/2, p. 55-65 BENTOLILA, A. (2008) : « Le goût de l’autre » in L’autre : L’enfant et les langues, vol. 9, n°2 DAHOUN, Z. K. S. (1995) : Les couleurs du silence. Le mutisme des enfants de migrants, Paris, Calman-Levy DOMENECH, E. (1996) : « Troubles affectifs et pathologie du langage » in MULLER, C.C., NARBONA J. (1996) : Le langage de l’enfant, aspects normaux et pathologiques, Masson, Paris GELLMAN-GARCON, E. (2007): « Le mutisme sélectif chez l’enfant : Un concept trans-nosographique » in Revue de la littérature et discussion psychopathologique, P.U.F., La psychiatrie de l’enfant, 2007/1, vol. 50, p. 259-318 HESSELMAN, S (1983): “Elective mutism in children 1877-1981”, in Acta Paedopsychiatrica n°49, p. 297-310 LAMBERT, W.-L. (1977) : “Effects of bilingualism on the individual” in Hornby, P. A. (ed),Bilingualism: psychological, social and educational implications, New York, San Francisco, London, Academic Press Inc., p. 15-27 MORO, M.-R. (2002) : Enfants d’ici venus d’ailleurs. Naître et grandir en France, Paris, Syros, La Découverte SANSON C., SERRE G., MORO M.-R. (2008) : „Les langues de Krishna : l’ortophoniste face au bilinguisme” inL’autre : L’enfant et les langues, vol. 9, n°2
Langue maternelle, langue étrangère et enjeux identitaires
Laura Tarafas, psychologue clinicienne
Le 01/10/2012
En famille ou en société, nous baignons dans la langue. Voilà pourquoi la langue maternelle suscite bien des réflexions, surtout s’il arrive que nous en soyons privés. Même si la première langue parlée n’est pas appelée langue maternelle dans toutes les langues comme en français, celle-ci a un rapport très important avec la mère, souvent le premier objet perçu par le nourrisson. De fait, la langue maternelle apparaît très tôt dans la vie : la voix de la mère est entendue et distinguée des autres dès l’état foetal. Il s’agit donc d’un véritable lien entre la mère et son bébé. Ce lien vocal marquant la toute première des relations passe donc par le corps. Il est chargé de toutes les connotations affectives des premières interactions. C’est pourquoi Sinatra affirme : „on ne peut pas retrouver son enfance sans la langue maternelle (…). On ne peut pas se couper de la langue maternelle sans se couper de l’enfance, et on ne peut pas s’y enfermer non plus, car ici véhiculent des signifiants, des premières sensations et des contenus pré-langagiers, comme les odeurs [et] les saveurs” (1999, p. 135). Pourtant, nous ne pouvons ignorer la diversité des appellations de cette première langue. Alors en français, „langue maternelle” signifie-t-il „langue de la mère” ? D’après Tobie Nathan, „la langue dans laquelle un sujet a appris à parler n’est pas nécessairement liée à la langue de la mère (…), pas davantage à la langue du père” (1993, p. 19). De fait, Nathan introduit une nouvelle notion : la langue-mère, celle dont dérivent toutes les langues ultérieurement acquises par un même sujet. Il souligne : „La langue est un système culturel qui clôture, enveloppe le groupe social (…). On le sait : la langue est le bien le plus spécifique du groupe social et contient son âme, sa dynamique, sa créativité. De la même manière pour un individu, sa langue maternelle est le lieu d’où diffuse continuellement son sentiment d’identité” (ibid). Par conséquent la langue, ou le langage, agit en tant qu’élement antifusionnel dans la relation mère-bébé. En effet, la langue formalise et sépare, par l’usage de vocables différenciés. Ceux-ci produisent de la séparation, et introduisent donc la dimension symbolique. Si ce sujet a attiré notre attention, c’est qu’il existe très peu de travaux sur le lien entre langue étrangère et enjeux identitaires. Pourtant cette question se pose de plus en plus en Europe, avec l’ouverture des frontières depuis 1989, la mondialisation et les importantes vagues de migrations des vingt dernières années. Les travaux restent lacunaires et ne permettent pas la compréhension de ce sujet fascinant et mystérieux. Voilà pourquoi nous tâcherons ici d’expliquer, à partir de sources plurilingues – en français, anglais et hongrois -, quelques aspects complexes des rapports entre la langue étrangère et le sujet. Rédaction : Laura Tarafas, psychologue clinicienne (septembre 2012) Références : SINATRA, F. (1999) : „La figure de l’étranger et l’expérience de l’exil dans la cure” in Kaes, R. : Différence culturelle et souffrance de l’identité, Dunod, 2005, Paris NATHAN, T. (1993) : „À qui appartiennent les métis ?” in La Nouvelle Revue de l’Ethnopsychiatrie n°21, p. 13-22, Grenoble, La Pensée Sauvage